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10/01/2016

Place de la République vide : retour au réel

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 Réflexions sur l'échec du "culte élyséen" de ce matin :


 

 

 

Place de la République, pour la cérémonie funèbre à laquelle nous étions appelés depuis huit jours par M. Hollande, il n'y avait (outre les invités officiels) qu'une poignée de « vraies gens » : quelques centaines de Parisiens. La photo légendée ci-dessus* donne la mesure de cette disproportion.

La réalité infligeait un échec au rêve de l'Elysée et des médias. Ils s'attendaient à un miracle postmoderne : que  la population parisienne « fonctionnant à l'individualisme » se montre décidément capable de produire « de l'émotionnel collectif », de « s'approprier » les vieux emblèmes de la IIIe  en « réécrivant la place de la République et son marquage symbolique ». Comme si la Marianne de bronze  de 1883 allait devenir en 2016 la déesse d'un civisme inédit, de la même façon que la flamme new-yorkaise du pont de l'Alma (1989) s'était muée en mémorial à Lady Di (1997)...

Né l'an dernier de l'énorme émotion des 7 et 11 janvier, le rêve de miracle ne s'est pas réincarné ce matin. Place de la République, le désarroi des reporters de BFM et d'i-Télé était palpable. A peine parvenaient-ils à obtenir, de quelques badauds, les déclarations rituelles ! Ce plantage désorientait les journalistes, réduits à promettre aux téléspectateurs « un second temps fort », sur cette même place, à la fin de la journée... (« Temps fort » qui se résumait à une visite de Mme Hidalgo : pas de quoi attirer les foules).

On aurait aimé que les rédacteurs en chef de certains quotidiens, présents sur la place dans le carré des VIP**, osent prendre le micro à la place des foules absentes. La situation démentait en effet les pages lyriques publiées ces derniers jours par les mêmes quotidiens. On y lisait que les Français avaient désormais un « culte » pour la place de la République, qu'ils y venaient désormais souvent, par milliers, pour exprimer ils ne savaient quoi : les uns « des prières », les autres une « haine de la religion » ; les uns la fraternité nationale, les autres leur allergie libérale envers les nations***.

Mais ces articles eux-mêmes finissaient par avouer que tout ça sonnait creux. « C'est le signe d'une profonde décomposition du collectif : face à ces attentats, on ne sait plus quoi faire. Alors chacun vient place de la République », constatait l'historienne Danielle Tartakowsky (Paris-VIII).

Voici donc les vraies questions :

► Quel acide a « décomposé le collectif », dans ce pays doté naguère d'une longue mémoire ?

► Pourquoi cette mémoire n'est-elle plus transmise ?

► Cette non-transmission n'est-elle pas l'un des symptômes d'une panne de civilisation ?

► Cette panne n'a-t-elle pas un lien avec l'apparition du fameux « djihadisme français » ?

Je partage l'avis d'Olivier Roy lorsqu'il explique que « notre société individualiste libérale mais en crise – économique, donc sociale, donc culturelle – fabrique du radicalisme », et que le djihadisme français exprime moins une radicalisation de l'islam qu'une « islamisation du radicalisme » (d'où le phénomène des conversions de petits Français au... djihadisme).

Selon Pascal Ory, « ce que les modernes appelleront "religion" n'est jamais que la symbolisation du politique. » Le néolibéralisme a décomposé le politique là où il siégeait : dans les instances régaliennes des Etats, désormais inhibées par leur soumission à la société de marché. Il ne faut donc pas s'étonner de voir le politique renaître de façon sauvage ailleurs, à d'autres niveaux, pour le meilleur ou pour le pire.

Le djihadisme, c'est pour le pire : la « religion » au sens d'Ory, prétexte ici d'une politique homicide.

(Il y a aussi le meilleur : la floraison, partout dans le monde, des initiatives sociales de base que le pape François encourage. Encore de la « religion » ? Non : la foi au Christ n'a rien à voir avec les prétextes sanguinaires de Daech).

« Les djihadistes ont retourné la modernité contre elle-même », écrit Antoine Garapon dans le numéro de janvier de la revue Esprit. C'est exact.

Dans Le Monde, Nicolas Truong ajoute que les djihadistes ont fait exploser « la bulle occidentale » (c'est exact aussi) ; et qu'ils ont brouillé « les repères intellectuels et les boussoles idéologiques » : mais ça, c'est inexact. Car la société de marché n'a, par définition, aucun « repère intellectuel ». Les intellectuels de marché ont brisé et maudit toutes les « boussoles idéologiques » à partir de 1990. Ce que font donc les djihadistes, c'est de nous révéler notre propre vide mental et moral ; un vide dont Charlie Hebdo est l'expression la plus lugubre.

Voilà pourquoi les gens qui sont venus sur la place de la République en 2015 se sentaient « un peu perdus », et pourquoi sans doute ils n'y sont pas venus ce matin.

 

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* copiée sur Twitter.

** Photo : le groupe qui figure sous le label « invités ».

*** « Le fait que “tout ça se passe place de la République et non place de la Nation” la réconforte malgré tout... » (Le Monde, 10/01, à propos d'une « professeure d'économie »).

 

 

Commentaires

> Le véritable civisme, consistait justement à ne pas se rendre Place de la République.
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Écrit par : Blaise / | 10/01/2016

> Et dire qu'il y avait des batailles de chiffres sur le nombre de manifestants dans les Manifs pour tous...
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Écrit par : Alex / | 10/01/2016

> L'échec de cette manifestation est plutôt réconfortant; ne boudons pas notre plaisir.
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Écrit par : Blaise / | 10/01/2016

PAS D'ACCORD

> Je reste sceptique sur l'islamisation du radicalisme : les djihadistes français sont-ils des radicaux islamisés ? Non.

FP


[ PP à FP - Alors comment expliquer l'engagement djihadiste de jeunes franco-français "de souche", passés directement de 'Call of Duty' au désir de djihad sans avoir été initiés au contenu religieux de l'islam ? J'en connais un cas, et je peux vous garantir qu'en faisant cette transition ce n'était pas le Coran qui l'attirait. ]

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Écrit par : Falco Peregrinus / | 11/01/2016

RADICALISATION ?

> Parler d'islamisation de la radicalité plutôt que de radicalisation de l'islam, c'est un amalgame dangereux qui va criminaliser voire faire passer pour quasi terroriste toute pensée et toute action un tant soit peu radicales.
Bientôt, les zadistes de NDDL et d'ailleurs seront traités comme des djihadistes - on trouvera bien un musulman ou deux parmi eux et on les appellera les "zihadistes". Comme les anti-écologistes primaires appellent les écolos à peine radicaux les "Khmers Verts" pour les faire passer pour d'affreux génocidaires (en puissance).

FP


[ PP à FP - C'est un autre angle. Oui, ce danger est bien réel : on l'a vu avec certaines perquisitions folles menées au nom de "l'état d'urgence" chez des adversaires de l'aéroport.
Mais l'existence de ce danger, liée aux intentions politiciennes du gouvernement, n'enlève rien (par ailleurs) à la pertinence factuelle de l'analyse de Roy... ]

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Écrit par : Falco Peregrinus / | 11/01/2016

LE MEDEF

> Symbolique : le jour du fiasco commémoriel de Charlie-je-n’y-suis-plus, le Medef dégaine son projet pour redresser le pays. La recherche de héros d’un autre genre, plus classique en régime libéral, moins « sanglant »… puisque les victimes seront cherchées dans les rangs des salariés.
Ainsi la presse nous annonce-t-elle ce dimanche 10 janvier la demande d’un « contrat de travail agile », formulée par le patronat dans une lettre ouverte à François Hollande (publiée par le JDD)…
La nouveauté dudit contrat consisterait principalement à plafonner les indemnités prud’homales et à prévoir des motifs de rupture liés à la situation de l’entreprise, comme une baisse du chiffre d’affaires, ou liés à la réalisation d’un projet, quand les résultats attendus ne sont pas atteints.
Il semble que dans ce projet des patrons français, il ne sera plus question d’évaluer réellement et sérieusement, in concreto, le travail de la personne licenciée ou poussée au départ, ni sa compétence professionnelle, ni sa capacité à remplir les missions qui lui sont assignées dans le respect du métier qui est le sien. Non, la faute du salarié sera incluse dans les clauses du contrat de travail qu’il aura signé lors de son embauche. Le salarié sera ainsi promu officiellement par contrat « variable ou virable d’ajustement ». Seule la situation générale de l’entreprise importera, la performance du salarié viré demeurant secondaire, anecdotique.
Est-ce à dire que derrière ce « contrat de travail agile » lié aux résultats de l’entreprise, nous verrons l’étau se resserrer sur la notion de bouc émissaire économique, au nom de l’intérêt général (intérêt général garanti par le patron) ? Une belle figure de la postmodernité économique en vérité. Le salarié bouc émissaire désigné par contrat aura ce petit « plus » diabolique : victime offerte à Mammon, il sera la plupart du temps victime de la conjoncture économique et donc innocent des problèmes qui se posent à l’entreprise !
C’est beau, et avec Charlie j’essuie une larme…
Le chef de l’Etat et le gouvernement cherchent des héros pour ressouder voire refonder la République et la Nation en panne ? Civique en diable, le Medef les lui apporte sur un plateau !
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Écrit par : Denis / | 11/01/2016

PAS D'ACCORD

> Jouer à Call of Duty n'est pas un signe de radicalité...
La question est : y a-t-il une proportion réellement significative de jeunes radicaux français (anarchistes, gauchistes, fascistes, etc.) passés au djihadisme ?
Si oui, on peut parler comme Roy d'islamisation des radicaux. Si non, il faut continuer à parler de radicalisation des musulmans et des islamistes ou de néo-islamisation radicale.

FP

[ Pp à FP
- Nous ne parlons pas de la même chose.
Vous parlez de militants politiques.
Mais la "radicalisation" dont parlent les psychologues et les sociologues de terrain n'a rien à voir avec les groupuscules idéologues : c'est un engrenage mental lié à la crise d'adolescence, ou de post-adolescence, et enclenché par les pulsions que libère la sous-culture numérique ambiante. Cet engrenage concerne une masse de jeunes.
Mais libre à vous de ne pas croire les psychologues et les sociologues de terrain. ]

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Écrit par : Falco Peregrinus / | 12/01/2016

ISLAMISATION DE LA RADICALITÉ

> Je lis sur 'Le Figaro.fr' le témoignage de Nicolas Hénin, ex-otage de daech en Syrie. Il dit que la majorité des personnes ayant un parcours de radicalisation ont entre 16 et 25 ans. Dans son livre, il souligne que parmi ses jeunes tortionnaires il y avait des Français qui avaient eu "envie d’action" et étaient allés la chercher au seul endroit qui leur en proposait sur Internet : le djihad. Je crois que Nicolas Hénin est bien placé pour en témoigner. Mieux en tout cas que nos croisés de salon.
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Écrit par : a. ancelin / | 12/01/2016

DÉRAPAGE

> à PP - N'avez-vous pas l'impression qu'une partie de nos ex-jeunes gens en colère de 2013 sont en train de déraper plein pot vers l'accusation monocausale (l'islam cause de tous nos malheurs), véhicule du bon gros ethnicisme ?

Torrebenn


[ PP à T. - Si. Hélas. ]

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Écrit par : Torrebenn / | 12/01/2016

NÉANTISATION

> Combien de nos jeunes ex-2013 jouent à 'Call of duty' ? Ont un compte Facebook?
Patrice, j'ai un mail extra du ministère sur la semaine de la "persévérance à l'école". Cela t'intéresse? C'est, à mon avis, de même que le mail sur le mur d'expression pour Charlie-Hebdo, symptomatique du néant culturel qui envahit l'école.

VF


[ PP à VF - Oh oui, ce mail m'intéresse... ]

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Écrit par : VF / | 12/01/2016

RADICALITÉ ?

> Je ne suis au fond d'accord avec aucune de ces deux expressions : ni islamisation des radicaux, ni radicalisation des musulmans. Si je vous suis bien, il s'agit donc d'une islamisation de la radicalisation. Si l'on suit ce que dit Roy, il ne s'agit donc pas d'une islamisation des radicaux mais d'une islamisation (de l'expression) du nihilisme. Mais même là, je ne trouve d'ailleurs pas que les djihadistes français soient rabattables sur les maoïstes, gauchistes, etc., français ou européens, même terroristes (RAF, AD, etc.), dans le grand sac fourre-tout du nihilisme qui ne veut plus rien dire à force d'être élargi... Et qui permet de mettre dans le même sac les vrais radicaux (ceux qui se disent tels : anars, écolos, etc.) et les djihadistes et autres extrémistes.

FP

[ PP à FP
- Encore une fois, nous ne parlons pas de la même chose. La "radicalisation" d'aujourd'hui (au sens des psychosociologues) n'a rien à voir avec les groupuscules à idéologie "radicale"...
Sur ces derniers il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire. Autant les gens de PMO (Grenoble) sont réellement radicaux (au sens classique) dans leur démarche de contestation du système économique et biotechnologique, autant certains "anarchistes" bidon sont engrenés dans le système... ]

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Écrit par : Falco Peregrinus / | 13/01/2016

Mgr RAVEL

> En même temps Mgr. Ravel disait une messe "pour la Paix" aux Invalides devant une très nombreuse assemblée (avec beaucoup d'uniformes et de jeunes familles) . Sa puissante homélie est disponible ici et mérite d'être méditée.
http://www.dioceseauxarmees.catholique.fr/texte-et-homelie-de-mgr-ravel/1505-homelie-de-la-messe-pour-la-paix-10-janvier-2016.html
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Écrit par : stevenson / | 13/01/2016

PAS D'ACCORD DU TOUT

> En réalité, c'est précisément le concept même de radicalisation que je conteste, et surtout le fait d'y rabattre les terroristes gauchistes des années 70 sur les djidahistes des années 2010 : est-ce que ce sont les mêmes données de terrain sociologiques et psychologiques ? Je ne crois vraiment pas : quel rapport entre l'étudiant trotskyste des années 70 et le geek Call of Duty des années 2010 ? Olivier Roy se trompe : parler même d'islamisation de la radicalisation - au sens où la radicalisation passerait aujourd'hui par l'islam comme elle passait hier par le gauchisme ou le tiers-mondisme et avant-hier par le fascisme ou le communisme - ne veut rien dire : radicalisation de qui et de quoi d'abord ? radicalisation contre quoi et pour quoi ? Black Bloc et Daesh, même combat ? ZAD et Djihad - kif-kif ? La "radicalisation" tout seul, c'est un peu comme la "recrudescence" dans La Cité de la Peur : "Odile ! Je vous avais dit que devant la recrudescence il ne fallait pas laisser votre sac à terre ! Regardez, il est vide !" Ce concept de "radicalisation", c'est une façon de psychopathologiser toute réaction critique radicale - éventuellement violente - envers le système. Zad et djihad - "radicalisation" ? Résistants et SS - "radicalisation" ?
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Écrit par : Falco Peregrinus / | 13/01/2016

JEAN-CLAUDE LIAUDET

> Pour aller dans le même sens que votre analyse, un excellent article de Jean-Claude Liaudet dans L'Obs du 3 décembre :
"Nos enfants terroristes".
Un extrait pour vous mettre en bouche:
"L'adolescent de la précarité constitue un cocktail détonant. Le jeune homme, la jeune femme est comme un homard qui mue, selon le mot de Catherine Dolto-Tolitch: il est à nu, sans carapace. Mais la génération de 2008 ne dispose pas de matériaux pour en reconstituer une nouvelle: la religion des ancêtres, les espoirs révolutionnaires, les idéaux républicains sont déchus, les non-idéaux du libéralisme les ont détruit et remplacés, mais ils viennent à défaillir suite au krach de 2008."
Pour la petite histoire, c'est un article que m'a fait découvrir mon directeur, et que j'étudie avec mes BTS (faire un peu de publicité pour l'Education Nationale en ces temps difficiles pour elle ne fait pas de mal ;-)
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Écrit par : Anne Josnin / | 13/01/2016

TROIS RÉFLEXIONS

> Ce vide en 2016 me laisse (au moins) 3 réflexions :
1.) La mobilisation de 2015 contenait beaucoup d'émotion. On ne construit pas du long terme sur l'émotion.
2.) Les Français détestent qu'on leur donne des ordres.
3.) La comparaison avec les mobilisations des Manif pour tous, qui ont tenu plus d'un an, montre qu'il faut du fond (et pas seulement de l'émotion) pour mobiliser dans la durée. Certains politiques feraient bien de se le rappeler : une élection présidentielle se joue à un nombre de voix bien inférieur aux mobilisations de LMPT (même si sans doute seule une minorité en tiendra encore compte au moment de glisser son bulletin dans l'urne).
PS - Merci à stevenson de nous donner l'info de la comparaison avec la messe aux invalides (j'en ignorait l'existence). Un évêque sans aucun tapage médiatique (et sans prétention de nombre) a sans doute rassemblé autant voire plus que le gouvernement et les média... Oserai-je dire que l'un s'appuie sur l'océan (la mare ?) médiatique, l'autre sur le roc ? ...
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Écrit par : franz / | 13/01/2016

> Merci !

FP


[ PP à FP - Mon angle et le vôtre sont différents et un peu contradictoires, mais pas incompatibles : donc votre dernier mot n'appelle pas de réponse de ma part... ]

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Écrit par : Falco Peregrinus / | 14/01/2016

Suite pour MEDEF Denis,

> Parmi les signataires de cette lettre se trouvent les Entrepreneurs et Dirigeants CHRETIENS, parlant beaucoup sur l'Homme au centre ou de doctrine sociale de l'Eglise. Il vaudrait mieux CHRETIENS ENTREPRENEURS.
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Écrit par : FW / | 15/01/2016

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